Extrait d’une lettre du Saint-Père Jean-Paul II à l’Évêque de Liège à l’occasion du 750e anniversaire de la Fête-Dieu, parue dans le numéro 25 de l’Osservatore Romano du 18 juin 1996.
Jésus n’est plus présent aux hommes de la même manière qu’il l’était sur les routes de Palestine. Après la Résurrection, dans son corps de gloire, il est apparu aux femmes et à ses disciples. Puis il emmena les Apôtres «jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit […], il se sépara d’eux et fut emporté au ciel» (Lc 24, 50-51). Mais, en montant vers le Père, le Christ ne s’est pas éloigné des hommes. Il demeure pour toujours au milieu de ses frères, et, comme il l’a promis, il les accompagne et les guide par son Esprit. Désormais, sa présence est d’un autre ordre. En effet, «à la dernière Cène, après avoir célébré la Pâque avec ses disciples, lorsqu’il allait passer de ce monde à son Père, le Christ institua ce sacrement comme le mémorial perpétuel de sa passion […], le plus grand de tous les miracles ; et à ceux que son absence remplirait de tristesse, il laissa ce sacrement comme réconfort incomparable» (Saint Thomas d’Aquin, Office du Corpus Domini, 57, 4).
Chaque fois que, dans l’Église, nous célébrons l’Eucharistie, nous rappelons la mort du Sauveur, nous annonçons sa Résurrection dans l’attente de son retour. Aucun sacrement n’est donc plus précieux et plus grand que celui de l’Eucharistie; et, lorsque nous communions, nous sommes incorporés au Christ. Notre vie est transformée et assumée par le Seigneur. Hors de la célébration eucharistique, l’Église prend soin de vénérer la sainte réserve, qui doit être «gardée […] comme centre spirituel de la communauté religieuse et paroissiale», (Paul VI, Mysterium fidei, n. 68).
La contemplation prolonge la communion et permet de rencontrer durablement le Christ, vrai Dieu et vrai homme, de se laisser regarder par lui et de faire l’expérience de sa présence. Quand nous Le contemplons présent au Saint-Sacrement de l’autel, le Christ se fait proche de nous et plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes; il nous donne part à sa vie divine dans une union transformante et, par l’Esprit, il nous ouvre l’accès au Père, comme il le disait lui-même à Philippe: «Qui m’a vu a vu le Père» (Jn 14, 9). La contemplation, qui est aussi une communion de désir, nous associe intimement au Christ et elle associe de manière toute spéciale ceux qui sont empêchés de le recevoir.
En demeurant silencieusement devant le Saint-Sacrement, c’est le Christ, totalement et réellement présent, que nous découvrons, que nous adorons et avec lequel nous sommes en relation.
Ce n’est cependant pas par les sens que nous le percevons et que nous sommes proches de Lui. Sous les espèces du pain et du vin, c’est la foi et l’amour qui nous conduisent à reconnaître le Seigneur, Lui qui nous communique pleinement «les bienfaits de cette rédemption qu’il a accomplie, Lui, le Maître, le bon Pasteur, le Médiateur le plus agréable au Père», (Léon XIII, Miroe caritatis).
Comme le rappelle le Livre de la foi des Évêques de Belgique, la prière d’adoration en présence du Saint-Sacrement unit les fidèles «au mystère pascal; elle les fait communier au sacrifice du Christ dont l’Eucharistie est le sacrement permanent».
En honorant le Saint-Sacrement, c’est aussi une profonde action de grâce que nous faisons monter vers le Père, car en son Fils il a visité et racheté son peuple. Par le Sacrifice de la Croix, Jésus a donné la vie au monde et il a fait de nous des fils adoptifs, à son image, établissant des relations d’une intimité particulière, qui nous permettent d’appeler Dieu de ce beau nom de Père. Comme nous le rappelle l’Écriture, Jésus passait des nuits à prier, en particulier dans les moments où il avait des choix importants à réaliser. Dans la prière, par un geste de confiance filiale, imitant son Maître et Seigneur, le chrétien ouvre son coeur et ses mains pour recevoir le don de Dieu et pour le remercier de ses bienfaits, offerts gratuitement.
Il est précieux de s’entretenir avec le Christ et, penchés sur la poitrine de Jésus comme le disciple bien-aimé, nous pouvons être touchés par l’amour infini de son Coeur. Nous apprenons à connaître plus profondément celui qui s’est donné totalement, dans les différents mystères de sa vie divine et humaine, pour devenir disciples et pour entrer, à notre tour, dans ce grand mouvement de don, pour la gloire de Dieu et le salut du monde. «Suivre le Christ ne peut pas être une imitation extérieure, parce que cela concerne l’homme dans son intériorité profonde», (Veritatis splendor, n. 21). Nous sommes appelés à nous mettre à son école, pour être peu à peu configurés à Lui, pour laisser l’Esprit agir en nous et pour réaliser la mission qui nous est confiée. En particulier, l’amour du Christ nous pousse à travailler sans cesse pour l’unité de son Église, pour l’annonce de l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre et pour le service des hommes; «nous ne formons qu’un seul Corps, car nous avons tous part à ce pain unique» (1 Co 10, 17): telle est la Bonne nouvelle qui réjouit le coeur de l’homme et lui montre qu’il est appelé à prendre part à la vie bienheureuse avec Dieu.
Le mystère eucharistique est la source, le centre et le sommet de l’activité spirituelle et caritative de l’Église (cf. Presbyterorum ordinis, n. 6). La proximité avec le Christ, dans le silence de la contemplation, n’éloigne pas de nos contemporains, mais, au contraire, elle nous rend attentifs et ouverts aux joies et aux détresses des hommes et elle élargit le coeur aux dimensions du monde. Elle nous rend solidaires de nos frères en humanité, particulièrement des plus petits, qui sont les bien-aimés du Seigneur. Par l’adoration, le chrétien contribue mystérieusement à la transformation radicale du monde et à la germination de l’Évangile. Toute personne qui prie le Sauveur entraîne à sa suite le monde entier et l’élève vers Dieu. Ceux qui se tiennent devant le Seigneur remplissent donc un service éminent ; ils présentent au Christ tous ceux qui ne Le connaissent pas ou ceux qui sont loin de Lui ; ils veillent devant Lui, en leur nom.
À l’occasion de ce jubilé, j’encourage les prêtres à raviver le souvenir de leur ordination sacerdotale, par laquelle le Christ les a appelés à participer d’une manière particulière à son unique sacerdoce, spécialement dans la célébration du sacrifice eucharistique et dans l’édification de son Corps mystique qui est l’Église.
Qu’ils se rappellent les paroles prononcées par l’évêque au cours de la liturgie de leur ordination : «Prenez conscience de ce que vous ferez, vivez ce que vous accomplirez, et conformez-vous au mystère de la Croix du Seigneur» !
En puisant à la source des saints mystères par des temps de contemplation fidèles et réguliers, ils en tireront des fruits spirituels pour leur vie personnelle et pour leur ministère, et ils pourront, à leur tour, rendre le peuple chrétien dont ils ont la charge davantage apte à saisir la grandeur «de sa participation particulière au sacerdoce du Christ», (Lettre aux prêtres pour le Jeudi Saint 1996, n. 2).
«Les fidèles, lorsqu’ils adorent le Christ présent dans le Saint-Sacrement, doivent se rappeler que cette présence dérive du Sacrifice et tend à la communion tout à la fois sacramentelle et spirituelle» (Congrégation des Rites, Instruction sur le culte de l’Eucharistie, n. 50).
J’encourage donc les chrétiens à rendre visite régulièrement au Christ présent dans le Saint-Sacrement de l’autel, car nous sommes tous appelés à demeurer de manière permanente en présence de Dieu, grâce à Celui qui reste avec nous jusqu’à la fin des temps.
Dans la contemplation, les chrétiens percevront avec une plus grande profondeur que le mystère pascal est au coeur de toute vie chrétienne. Cette démarche les entraîne à s’unir plus intensément au mystère pascal et à faire du sacrifice eucharistique, don parfait, le centre de leur vie, selon leur vocation spécifique, car il «confère au peuple chrétien une dignité incomparable», (Paul VI, Mysterium fidei, n. 67).
En effet, au cours de l’Eucharistie, nous sommes accueillis par le Christ, nous recevons son pardon, nous sommes nourris de sa parole et de son pain, nous sommes ensuite envoyés en mission dans le monde; ainsi, chacun est appelé à témoigner de ce qu’il a reçu et à faire de même avec ses frères.
Les fidèles affermissent leur espérance en découvrant que, avec le Christ, la souffrance et la détresse peuvent être transfigurées, car, avec Lui, nous sommes déjà passés de la mort à la vie. De ce fait, lorsqu’ils offrent au Maître de l’histoire leur propre vie, leur travail, et toute la création, leurs journées en sont illuminées.
Je recommande aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, ainsi qu’aux laïcs de poursuivre et d’intensifier leurs efforts pour apprendre aux jeunes générations le sens et la valeur de l’adoration et de la dévotion eucharistiques. Comment les jeunes pourront-ils connaître le Seigneur s’ils ne sont pas introduits dans le mystère de sa présence? Comme le jeune Samuel, en apprenant les mots de la prière du coeur, ils seront plus proches du Seigneur, qui les accompagnera dans leur croissance spirituelle et humaine, et dans le témoignage missionnaire qu’ils auront à donner tout au long de leur existence.
Le mystère eucharistique est en effet le «sommet de l’évangélisation» (Lumen gentium, n. 28), car il est le témoignage le plus éminent de la résurrection du Christ. Toute vie intérieure a besoin de silence et d’intimité avec le Christ pour se développer. Cette familiarité progressive avec le Seigneur permettra à certains jeunes de s’engager dans le service de l’acolytat et à participer plus activement à la Messe ; être auprès de l’autel est aussi pour les jeunes garçons une occasion privilégiée pour entendre l’appel du Christ à le suivre plus radicalement dans le ministère sacerdotal.
Du Vatican, le 28 mai 1996
Jean-Paul II